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Une affaire immobilière éclabousse l’Eglise orthodoxe

C. Lafontaine et M.-A. Beaulieu
19 octobre 2017
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Une affaire immobilière éclabousse l’Eglise orthodoxe
Le Patriarche grec-orthodoxe Theophilos III à l'occasion des voeux du Nouvel An à la résidence présidentielle d'Israël en décembre 2015. Photo ©Miriam Alster/FLASH90

Selon le quotidien Haaretz, dans son édition du 13 octobre 2017, l’Eglise orthodoxe aurait vendu les biens fonciers d’un quartier de Jérusalem il y a cinq ans. Qui plus est, pour un prix modique à une société étrangère.


Le Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem a de nouveau récemment fait les gros titres de la presse israélienne. Le journal israélien Haaretz a publié vendredi 13 octobre un article sous la plume de Nir Hasson indiquant avoir eu accès à trois des contrats signés entre l’Eglise grecque-orthodoxe et des sociétés d’investissement privées enregistrées dans les paradis fiscaux ces dernières années. L’un des trois contrats concerne Givat Oranim, un quartier dans le sud-ouest de Jérusalem. Le Patriarcat grec-orthodoxe est en effet soupçonné  d’avoir cédé ce quartier à des entreprises privées enregistrées aux Caraïbes. Cette transaction aurait eu lieu, d’après le quotidien israélien (orienté à gauche), il y a cinq ans, en 2012, pour 3,3 millions de dollars à Kronti Investments Limited, enregistrée aux Iles Vierges. Le quartier qui compte 240 appartements et un centre commercial,  aurait ensuite été revendu cinq ans plus tard à Oranim Limited, enregistrée aux îles Caïmans, pour un prix non précisé. D’après le journal israélien, l’Eglise grecque-orthodoxe n’a pas désiré commenter.

Après l’Autorité des Terres d’Israël, l’Eglise grecque-orthodoxe est le deuxième plus grand propriétaire foncier en Israël. Des sources s’accordent pour dire que ce patrimoine (principalement acquis au XIXe siècle) comprendrait plus de 80000 dounams (8 000 hectares), dont des bâtiments, des églises, des sanctuaires, des monastères, des cimetières et des terres agricoles. Dans le passé, Haaretz avait déjà révélé que le Patriarcat orthodoxe avait vendu plusieurs biens situés à Jérusalem, à Césarée et à Jaffa. Récemment, en juin 2017, le site d’actualités financières israélien Calcalist informait que l’Eglise grecque-orthodoxe avait vendu (secrètement) plus de 40 hectares de terres de premier choix à Jérusalem-Ouest à des institutions et entreprises israéliennes pour seulement 10 millions de dollars. Un mois plus tard, en juillet, un tribunal israélien confirmait une transaction immobilière de 2004 portant sur trois propriétés de la vieille ville de Jérusalem entre l’Eglise et un groupe de colons qui vise à y créer une majorité juive. La révélation de ces transactions dans la presse israélienne en 2005 avait donné lieu à des campagnes véhémentes contre Irénée Ier, alors Patriarche de l’Eglise grecque-orthodoxe de Jérusalem, qui avait ipso facto été démis de ses fonctions et remplacé par Theophilos III après la promesse de ce dernier aux autorités jordaniennes et palestiniennes d’annuler les transactions. De fait, dans cette logique, Theophilos III a donné une conférence de presse relayée dans le journal palestinien Al-Quds,  s’engageant à faire appel de la décision.

D’après le patriarche, cette vente aurait été faite à l’insu des autorités de l’Eglise orthodoxe par quelqu’un n’ayant pas pouvoir (voir le texte de la déclaration). En quoi le patriarcat grec-orthodoxe n’innove pas. D’autres Eglises se sont fait escroquer par des acquéreurs qui semblaient présenter les garanties nécessaires mais se sont révélés par la suite être des hommes de pailles. Depuis 1948, plusieurs communautés religieuses ont ainsi été dépouillées à leur corps défendant.

Cela dit, en parallèle de la décision de justice de juillet, était révélée la vente par l’Eglise de ses terres à Césarée en 2015. C’est la chaîne israélienne Channel 2 qui a dévoilé la nouvelle. Selon son reportage, une entreprise étrangère a acheté environ 70 hectares à Césarée pour un montant d’un million de dollars. On apprenait du même coup, que l’amphithéâtre romain et l’hippodrome de la ville de la ville avaient été vendus à une mystérieuse compagnie étrangère par le Patriarcat grec orthodoxe.

Garder le silence ?

Secoués par les révélations de cet été, plusieurs centaines d’orthodoxes palestiniens ont manifesté, le 9 septembre dernier à Jérusalem, pour dénoncer les ventes (à leur insu et à répétition) de biens immobiliers grecs-orthodoxes à des Israéliens (voir notre article). A cette occasion, les manifestants ont exigé non seulement de gérer eux-mêmes les propriétés de l’Eglise et d’annuler toutes les transactions suspectes, mais aussi la nomination d’un patriarche et représentant de l’Eglise de nationalité palestinienne. A noter que les Grecs hellènes ont pris le contrôle de l’Eglise orthodoxe il y a plus de 500 ans. Les membres palestiniens de l’Eglise, représentent aujourd’hui 99 % de la communauté orthodoxe locale. Une lettre ouverte diffusée pendant le rassemblement demandait la démission de Théophile III.

Ces « révélations » en cascades discréditent le patriarcat grec d’autant plus facilement que ce dernier préfère garder le silence. Mais ces attaques à coup de boutoirs réguliers des médias israéliens ne sont pas non plus sans poser de question quand bien même le journal Haaretz est loin d’être le plus véhément contre les chrétiens et leurs institutions. C’est au contraire un de ceux qui ouvre le plus souvent ses colonnes à une information de qualité et ouverte. De même, Channel 2, pour être une chaîne privée et de droite sait aussi mesurer ses propos.

Dans les couloirs des Eglises sœurs les propos sont à l’apaisement. On préfère jouer la solidarité entre chrétiens quand d’autres groupes d’influence dans le pays pourraient profiter de cet affaiblissement du patriarcat grec-orthodoxe pour rogner un peu plus les ailes de la présence chrétienne en Terre Sainte. Reste que davantage de clarté et de parler vrai dans ces situations délicates aiderait en premier lieu les chrétiens locaux eux-mêmes, tentés qu’ils sont d’abandonner le rang d’Eglises dont ils commencent à douter.